L’édition du « Monde » de ce week-end comporte un étrange éditorial intitulé « à nos lecteurs » et signé Jean-Marie Colombani. Le Directeur du quotidien prévient tout le monde, et c’est un euphémisme que de le dire, que son journal risque d’être prochainement perquisitionné, voire plus, dans le cadre de l’affaire Clearstream. Le tout à cause de l’ouverture d’une « information contre X pour violation du secret de l’instruction ». Sur la forme, on peut, certes, comprendre l’émoi qu’une telle perspective peut engendrer. On peut aussi espérer que journalistes et rédacteurs sauront, avec leur directeur, protéger leurs sources et leurs informateurs. Mais sur le fond, on peut aussi s’étonner que le journal « s’étonne » de pouvoir faire l’objet d’une telle « attention », alors qu’il publie presque chaque jour des détails qui n’auraient jamais dû quitter les bureaux des juges d’instruction.
Selon Jean-Marie Colombani, la faute en incombe, « encore » pourrait-on dire, au Premier ministre qui estimerait que « Le Monde et les deux magistrats chargés de l’enquête se seraient ligués pour le détruire ». Ce qui tourne un peu à la « parano », en dehors du fait que cette phrase laisse sous-entendre une entente objective entre juges et journalistes. Mais l’affaire ne fait plus sourire quand le journal prévient que ces futures voies de fait « programmées » contre la liberté de la presse viendraient confirmer les doutes émis « dès la crise des banlieues sur le mode de gouvernement de Dominique de Villepin ». Le sommet de l’Etat est donc accusé avant même d’avoir bougé… le petit doigt. Ce qui, peut-être, est une façon habile de le dissuader de le faire, mais tourne également à l’amalgame par son mélange de tous les sujets.
Etrange donc cette manière de prendre le lecteur à témoin de faits qui ne sont pas encore… arrivés. Etonnante également cette posture de victime de la part de Jean-Marie Colombani. Enfin effrayante cette dénonciation anticipée du Premier ministre et cette accusation à peine voilée de collusion de tous les pouvoirs.
« Le Monde » réagit un peu comme si la France de Chirac était déjà le Chili de Pinochet. Comme si l’autorité judiciaire n’était qu’aux ordres du pouvoir exécutif. Comme si la République avait décidé d’écraser la liberté par crainte d’un terrible dénouement . On ne veut pas le croire un instant. Mais il est déjà terrible qu’un organe de presse veuille le faire... craindre désormais.